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BETES (extraits)​

copyright Fabrice Charbit 2001

I.Le fauve​

​


L'esprit du jaguar

Je viens de bien plus loin
Que le béton de la métropole debout.
Je suis
La chair du fauve,
Un manteau pour l'esprit du jaguar.
J'ai grandi sur le dos de la terre
Et ma lèvre s'est gonflée
En suçant le cou des antilopes.
En ce temps
Les femelles primitives au cul roux Ne dormaient jamais
Et les morts étaient mangés.
Aujourd'hui,
Encore,
L'homme à lourde vêture
M'éveille
Pour que je gronde dans son corps.
Car je suis
Toujours
L'instinct de vie
Qui râle et rugit devant.

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Le sang de l'hiver

J'étais loup
Aboyant des rues noires
Barbare oeil rouge crocs dehors.
Les longs réverbères séchaient l'ombre,
Barbue de sorcières et de sang blanc.
Vinrent les fées, rosses d'hiver ;
Au fil des cités mortes grandissent

Leurs ailes d'anges-corbeaux,
Et braillent
Des bêtes dans leurs voix.
Maintenant
Le pavé foisonne,
L'empaleur
D'un millier d'yeux aux crânes de soif:
Autant de marcheurs qui n'avaient su.
Par delà le flanc haut des-demeures

Aux longues dents de tigre en haillons,
Je voyais la chevauchante,

L'Impératrice,
La rune limpide des murailles.
Et ma frange saignait de lumière...

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Froidure

Le froid lunaire,
Le froid des monts pétrifiés :
Qui fige toute chose,
Sauf les pattes voraces des loups
Sauf les coureurs d'existence
Sauf les sans-visages.
Le froid humain,
Uniquement humain.
Le froid qui accroche les corps
Non-laineux, non-poilus.
Le froid qui blanchit le gris
Des bitumes.
Et moi,
Qui marche
En crevant la glace,
Quand le monde
Glisse et tremble.

​

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Transe express

Ce soir le ciel est tordu
Les nuages hybrides baragouinent en vieux fous.
Avec mes quatre mains pour chevaucher les monstres
Je grimpe les métros suspendus
Tempe éclatée dans les chemins de bruit
Les enseignes centrifuges
Roulent comme des phares
Mes yeux véritables arrachent
Les éclairs des corps à chaque appartement
Je vois des dents terribles de feu Où s'avale un monde
Et voici les cent milliers d'hommes
Cages à coeurs
Sillages stridents
Chacun de leur pas s'horrifie du
Lourd pétrole de la nuit
Du boulevard qui danse avec ses yeux-squelettes
L'asphalte encore les immeubles
Ont grandit je
Suis plus vite.

​

​


Débauche

J'accrois la nuit dans mon corps qui est
Le pays fou du peuple des chats.
L'éclair arraché sur l'horizon
Cherche
Écroule
La paroi verticale du vieux monolithe
Où sommeillait la bête.
Au-delà des bouges, la joie des filles
Exhale comme un rosier noirci
La mort rouge des assassinées.
Du fer pousse sur mes mains
Comme un pelage atavique :
Ma caresse réclame ton sang.

​


Verres

Pelures d'hommes,
Brûle-sexes et brûle-coeurs,
Nos muscles flottent sur les tables.
Pour occuper
Nos gueules de bougie fondue,
Nous mordons les femmes
Aux flancs proches
Mais peu compréhensibles.
Nos yeux sont moites d'autant voir
Et les liquides
N'ont jamais d'or suffisamment
Nos foies sont vivants, pleins de futurs :
Tout est bien.
Et la mort, dessous...
Elle voudra mieux de nous
Que nos rêves.
Maintenant
Nous suçons nos verres car
Nous sommes moins coupables
Lorsqu'ils sont nombreux.

​


L'oiseau des comptoirs

Autour des tables, les heures,
Comme des figurines
Placées nulle part
Et sur le bois des peaux vivantes.
Je poursuis
Les bruits invisibles
Qui trottent vers des trous de souris.
Les percolateurs crachent,
Des éclats de vapeur
Au fond de l'oeil
M'envoûtent le corps.
Par endroits,
Le zinc comme de l'or
Est un territoire.
J'ouvre mes membres amplement,
Oiseau pour me rendre
Au pays des plafonds.
Sur la terre,
Un homme comme un ogre
A mangé son chapeau de pain.
Il engloutit six rasades rouges
Dans l'argile de son visage,
Ouvre la porte,
Et sort dans les fumées.
La fille blanche du bar,
Triste,
Avec ses épaules-épées,
Le regarde brûler sous l'hiver du dehors.
Elle :
Qui se refroidit d'homme en homme,
Qui donne du vin,
Qui lèche ses doigts froids,
Et longs
Et fins comme de l'eau ...
Je ploie sous les feux des projecteurs, je vois
Des soleils,
La hotte étincelle qui flamboie dans l'huile.
Mon vol se divise en faisceaux de métal,
La fille les reçoit.
Nous serons amants de la lumière,
Si seulement cesse le noir
Qui tire nos nervures
Vers le sol.

​




II.Fourrures​

 


L'amour aux étoiles

La nuit est grasse d'immenses prairies d'étoiles.
Là, des hardes bizarres d'amants dévorés
Paissent toujours.
Leurs caresses sont des tissages d'araignée
Qui se cassent non loin
Entre Mars et les autres planètes.
Allongés, pattes en l'air,
Ils baisent le bord de leur peau
Qui sent bon l'ombre et les racines de montagne.

​


Tes bras

Sur les tables de pierre
Enchaloupées de reptiles
Et de formes -
Là bivouaque la désirade.
Au fil du vent,
Près des lèvres,
Là, étalés
Le sein bleu,
Les épaules hérissées de clous
- J'aime ce mal des corps -,
Là, tu tiens le dernier homme.
Il a soufflé sur chaque peau de cervelle,
Mais étrange homme,
Aride,
Il a perdu la mémoire
D'une poitrine qui
Roule ruant des cornes sur sa poitrine.
L'a-t-il su un jour ?
Alors tes bras inventés
Pour lui
Feulent,
Avec une chaleur,
Abritent,
Comme le corps d'un grand animal.

​

​

Chair de pluie

Je renais toujours
En pluie
Sur la veine de ton cou.
Je suis
Cette bruine qui respire et marche à pas d'aiguille
Dans tes vertèbres en sommeil.
Et puis
Les gouttes longues,
Peu attentives
Aux chemins ronds de tes fesses,
Qui mêlent,
Changent ta chair et ton cheveu
En vent de bois noir.
Car je t'imagine toujours
Un peu nue, silhouette
Sous un grand orage,
Sous la douche immense,
Fragile.

​

 

​
III. Migration

​


Vaisseau de fer

Avec ses trois poitrails,
Le gros ferry
Mange,
Un peu plus que la mer,
Les rivages malouins.
Mes yeux me portent sur le pont,
Ma narine boit des mazouts
Et du chaud,
Je suis capitaine de l'acier.
Puis New York, Rotterdam, Kobe, Dakar, Bangkok.
Dans les ports qui fument et puent,
Tankers, cargos, terre-neuvas,
Navires-usines et dockers-fourmis
Ouvrent leur ventre.
Donc assez de légendes d'ar mor
Où grommellent les goémons noirs, Assez
De l'âme vague des tombeaux marins
Je quitte
Les sternes effroyables
Et sur l'eau, je préfère
Les grandes cités noires pleines de marchandises.

​


Abyssal

Rien ne perce.
Les gouffres océans sont sourds,
Les sons immobiles propagent la lourde mort , la folle
Pas de lampe,
La nuit
Me coupe en deux.
L'horreur noire étouffe-pierre me mâche.
J'étais poisson, serpent...
Maintenant monstre-épave,
Os qui danse :
Moi fou
Effiloché
Tête sans yeux
Chair tordue.
Je ne suis que ce qui tombe.

​

​

Poussières

Au profond lointain de ce temps les tours de charbon s'éventrent.
Les alentours sont poussière et mâchoires.
Au dessous, dans la spirale des puits énormes,
Le troupeau-meute des vies sans feu ni souffle ni chair ni sang s'étouffe.
Donc, j'allonge mon thorax oblique sur l'herbe au soleil blanc.
Vers l'Est,
Aux déserts jaunes
Où les chameaux-sanctuaires
Egrènent sans partage...
Et je pose mes lèvres sur des squelettes sacrés,
Sous l'écorce siliceuse des arbres fossiles couchés dans les rocs d'auparavant.

 


Après

Ce soir, tu me vois plus gris,
Vapeur cognant
Sous l'onde horizontale au dos d'acier.
Mon visage,
Une bouche a poussé dessus
Pour avaler la paroi de mer.
Le fils retrouvera le père
A la fin des temps.
En attendant, je suis deux fois toi et
Mes cheveux sont combustibles à manger
Par des flammes douloureuses
Et mortes.

​


Le bois couchant

L'ombre avait fondu
Ma toison solaire
De bête d'automne.
La branche en sommeil
Engendrait sous bois
Des sables de rouille...
Tout venait, troué de soleil,
Et vieux...
De siècles à loups.
Et
Les sapins de cuivre
(Ils foraient la Terre)
Tournaient sur eux-mêmes
Comme une prière
De toupies en feu.

 


Ma cabane au fond des bois

Sous le vert ombreux
J'aime l'autrefois :
L'arbre mort d'orage sur la route
Et l'odeur de sucre du sentier,
C'est la résine qui luit le jour
Des cadavres d'insectes gourmands,
Le fouillis de liseron noiraud
Qui broie les troncs et les vieux amours
La larme froide du sanglier.
Dans la maison du bout du chemin
La grande poutre permet de se pendre.

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